Rencontre avec Christophe Adam

Rencontre avec Christophe Adam

Framboise, La Martinière 11 mai 2017

 

DSC_4754NB

Christophe Adam

 

 

Bonjour Christophe Adam, eau plate ou eau gazeuse ?

Les 2 selon les plats et mon humeur !

Quel plat mangez-vous bien volontiers en ce moment ?

Mes délicieuses pâtes à la « carbonara » et au cognac !

Avez-vous toujours mangé ce plat ?

Oui, je l’adore tellement.

Quel est votre parcours culinaire ?

J’ai commencé chez le pâtissier Legrand à Quimper avant de rejoindre l’atelier du très renommé Gavroche. Et avant de travailler sur mes propres projets, j’étais chez Fauchon pour inaugurer la boulangerie et développer le « snacking » chic. Tout ce parcours professionnel m’a permis de découvrir de grands chefs et de grandes tables.

A-t-il plutôt  influencé votre façon de manger, ou ce que vous mangez ? En quoi?

Oui forcément un peu, car ça m’a permis de découvrir des produits, des préparations.  Mais, je voyage énormément, alors j’aime manger sainement et simplement lorsque je rentre chez moi.

Pouvez-vous nous raconter une première fois culinaire (préparation ou dégustation) ?

Chez El Bulli en Espagne

Quel est selon vous  l’aliment qui incarne le mieux la mobilité de l’humain de nos jours?

Les mêmes cartes !

Quel aliment vous ferait défaut aujourd’hui si vous deviez vous en passer pendant un an ?

Le pain beurre.

Si on se fiait à vous pour nous recommander un restaurant ?

Le restaurant Table de Bruno Verjus.

Si vous deviez nous présenter un produit et en partager la recette avec nous ?

La pate à choux.

Pour finir, quelques mots sur l’altérité et  le « vivre ensemble »

C’est parce que l’on est tous différents que nous arrivons à vivre ensemble, et c’est ce qui fait notre richesse ! C’est aussi cela qui enrichit notre patrimoine culinaire !

La pizza Framboise de Christophe Adam

La pizza Framboise de Christophe Adam

© Guillaume Czerw

 

Couv Framboise

 

Framboise, Christophe ADAM

La Martinière 11 mai 2017

 

 

 

PIZZA

FRAMBOISE

INGREDIENTS POUR 4 PERSONNES

LA PÂTE À PIZZA

75 g de farine type 45

50 g de farine type 65

3 g de levure de boulanger fraîche

70 g d’eau tiède à 22 °C

1 g de sel fin

2 g de sucre semoule

1 cuillerée à soupe 1/2 d’huile d’olive extra-vierge

 

LE NOUGAT

papier azyme pour étaler le nougat

340 g d’amandes entières mondées

80 g de pistaches entières mondées

80 g de blancs d’oeufs

135 g de miel blanc (lavande, romarin, acacia, trèfle, toutes-fleurs…)

335 g de sucre semoule

135 g de glucose

100 g d’eau

225 g de pâte de cacao

130 g de framboises séchées

 

LA GARNITURE

1 recette de confit de framboise (voir page 23)

1 barquette de framboises rouges (100 g )

1 barquette de framboises blanches (100 g )

feuilles de basilic et/ou de shiso pourpre

huile d’olive extra-fruitée

 

PREPARATION

LA PÂTE À PIZZA

Réalise d’abord la pâte à pizza, sachant qu’il faut compter un long temps de levée – entre 6 et 15 heures : mélange les deux farines. Prépare un levain en mélangeant la levure, 50 g d’eau tiède et 25 g de farine, et laisse fermenter une demi-heure dans un endroit tiède. Des bulles doivent se former. Ensuite, mélange le reste de farine avec le sel, le sucre et l’huile d’olive. Incorpore peu à peu la levure délayée, puis le reste d’eau, froide si possible. Pétris longuement jusqu’à l’obtention d’une pâte lisse et très souple qui ne colle pas aux doigts. Façonne-la en boule, dépose-la dans un saladier de 4 fois sa capacité, couvre-la de film étirable ou d’un tor­chon humide (à humidifier régulièrement pendant la levée). Le temps de levée dépend de la température ambiante. Laisse lever au moins 6 à 8 heures à 20 °C, voire 15 heures à 15 °C.

La pâte doit doubler, presque tripler de volume.

LE NOUGAT

Pour le nougat, une recette est donnée page 43. Celle-ci est un peu dif­férente, en voici le résumé : fais griller les amandes et les pistaches au four à 180 °C pendant 10 à 12 minutes, puis laisse-les refroidir. Fais mon-ter les blancs d’oeufs au batteur et, en parallèle, fais chauffer le miel à 50 °C. Quand les blancs sont bien montés, ajoute le miel en filet. Sans cesser de battre, fais cuire à 160 °C (en t’aidant d’un thermomètre) le sucre semoule, le glucose et l’eau. Verse ce sirop sur les blancs, moteur en marche, jusqu’à ce qu’il soit entièrement incorporé. Dessèche le mé­lange à l’aide d’un sèche-cheveux pendant quelques minutes, puis arrête le moteur.

Transfère le contenu du bol dans un poêlon en cuivre ; ajoute les amandes, les pistaches, la pâte de cacao et les framboises séchées. Mélange soi­gneusement et fais cuire le tout « au grand boulé », c’est-à-dire à 140 °C. Verse le nougat sur une feuille de papier azyme en une couche d’environ 2 cm d’épaisseur, étale-le à l’aide d’une spatule huilée et recouvre-le d’une autre feuille avant de l’étaler au rouleau pour qu’il ait une épais­seur bien régulière. Laisse refroidir, puis, à l’aide d’une règle et d’un cou­teau huilé bien tranchant, taille le nougat en bâtonnets longs et fins.

Pour la cuisson de la pizza, préchauffe le four à 250 °C. Étale la pâte en un disque de 30 cm de diamètre, dépose-la sur une plaque et étale le confit de framboise jusqu’à 2 cm du bord. Enfourne la pizza,

baisse la température à 180 °C et fais cuire 20 à 25 minutes.

Sors la pizza du four et ajoute les garnitures : lamelles de nougat coupées en morceaux de 3-4 cm, framboises rouges et framboises blanches cou­pées en deux, feuilles de basilic et/ou de shiso pourpre. Arrose d’un filet d’huile d’olive extra-fruitée.

Déguste sans attendre. Pas seul, de préférence : c’est vraiment un plat à partager.

« Les chiches baraks de ma mère Laurice »

« Les chiches baraks de ma mère Laurice »

 

couvejpg

Noha Baz, La recette d’où je viens

L’Orient des livres, novembre 2016

 

 

Ingrédients

Pour la pâte 200 g de farine 15 cl d’eau 1 cuillère à soupe d’huile Sel

Pour la farce 350 g de viande hachée 1 oignon Quelques brins de persil 2 cuillères à soupe d’huile d’olive Sel et poivre

Pour la sauce 1 kg 500 de yaourt de chèvre 1 cuillère à soupe de beurre 3 gousses d’ail ½ bouquet de coriandre fraîche 30 g de pignons 1 cuillère à soupe de maïzena Huile d’olive Sel et poivre

Préparation

LA FARCE

Hacher finement l’oignon, puis le faire revenir dans 2 cuillères à soupe d’huile d’olive. Ajouter la viande hachée, le poivre et le sel. Retirer du feu dès que la viande change de couleur. Laisser refroidir.

LA PÂTE

Tamiser la farine, ajouter l’eau, l’huile et le sel, mélanger à la main, pétrir la pâte pour la rendre homogène. Mettre la pâte dans un plat, la saupoudrer de farine pour éviter qu’elle ne colle aux mains, la couvrir d’un linge humide et la mettre pendant 30 minutes au frais. Fariner généreusement le plan de travail, aplatir la pâte à la main, la retourner, l’aplatir à nouveau avec un rouleau à pâtisserie jusqu’à ce qu’elle devienne fine. Découper avec un emporte-pièce des cercles de 5 cm de diamètre. Les garnir d’une noisette de farce, mouiller légèrement les bords, rabattre la pâte pour former des demi-lunes, presser les bords puis rapprocher les 2 extrémités et les pincer pour obtenir une petite boule.

LA SAUCE

Dorer les pignons avec un peu de beurre clarifié. Peler l’ail.

Laver, sécher et hacher finement la coriandre.

Dans un pilon, écraser l’ail avec le sel et la coriandre et les faire revenir une minute dans une poêle avec un peu d’huile.

Délayer la maïzena dans un demi-verre d’eau.

Verser le yaourt dans un grand faitout, ajouter la coriandre et l’ail, la maïzena, le sel, mélanger et cuire à feu moyen en touillant régulièrement.

Dès le début de l’ébullition, baisser le feu au minimum.

Verser délicatement les chiches baraks dans le yaourt, remuer délicatement.

Dès que les chiches baraks remontent à la surface, ils sont cuits.

Verser dans une soupière, ajouter les pignons dorés à la surface du plat.

Servir avec du riz aux vermicelles.

Rencontre avec Dr Noha Baz

Rencontre avec Dr Noha Baz

NohaBaz

Dr Noha Baz

La recette d’oû je viens, L’Orient des livres, novembre 2016

 

 

 

Bonjour Dr Noha Baz, eau plate ou eau gazeuse ?

Eau plate mais goûteuse. De temps en temps une exception pour les bulles de la Chateldon que j’adore !:)

Quel plat  mangez-vous bien volontiers en ce moment ?

Mes plats préférés en ce moment sont tous les légumes du Printemps assemblés suivant l’humeur du jour et mijotés à l’huile d’olive ! Bouquets de couleurs et de saveurs arrosés d’un filet d’huile d’olive. D’actualité au moment de cette interview La « Rabiiyeh  » ou textuellement en Français la « printanière  » un plat de jeunes poireaux Et de carottes nouvelles parfumés de graines de coriandre verte et simplement revenus dans un peu d’huile d’olive . Plat symbole du renouveau au moyen – orient.

Avez-vous toujours mangé ce plat ?

Oui ce plat a toujours fait partie de mes madeleines de Proust culinaires. Lorsque j’étais enfant Il faisait partie des traditions entourant les fêtes de Pâques et célébrait l’arrivée du Printemps.

Quel est votre parcours culinaire ?

Mon parcours culinaire a suivi mon parcours personnel entre l’Orient où je suis née et l’Occident où j’ai été en partie élevée Métissage heureux où les goûts de l’un sont magnifiés par l’autre. Répertoire vaste et varié où l’orgue des saveurs est démultiplié à l’infini. Richesse de goûts qui me fait par exemple glisser du lentisque et de la cardamome dans un gigot d’agneau ou accompagner un Ossau-Iraty d’une confiture de Rose très goûteuse et translucide que l’on confectionne à Alep et maintenant aussi à Beyrouth.

Pouvez-vous nous raconter une première fois culinaire (préparation ou dégustation) ?

Une première fois mémorable pour moi a été la confection de petits gâteaux de fête à base de semoule de pistaches et de noix (Les maamouls) Pour en maîtriser la confection il fallait de la dextérité et de la précision afin de faire épouser à la pâte parfumée d’eau de fleur d’oranger et de roses la paroi des moules en bois spécifiques… j’avais 7 ans et c’est pour moi absolument inoubliable ! Une autre est celle d’une génoise moka pralinée qui m’avait demandé plusieurs heures de travail à l’âge de dix ans les prémisses de la guerre à Beyrouth Et la grande Cuisine familiale à Beyrouth comme un refuge rassurant. Les applaudissements enthousiastes de mon père résonnent en moi jusqu’aujourd’hui. Il a été mon premier goûteur et sa gourmandise un vrai bonheur.

Quel est selon vous  l’aliment qui incarne le mieux la mobilité de l’humain de nos jours?

L’aliment qui incarne pour moi aujourd’hui la mobilité de l’humain est le pain. Depuis l’antiquité il a pris toutes sortes de formes, Et de goûts tout en ayant au fond une composition ultra simple. Baguette, pitta, pain de mie, lavish, galettes, Nan…Il raconte à lui seul milles histoires.

Quel aliment vous ferait défaut aujourd’hui si vous deviez vous en passer pendant un an ?

Le Thé si vous considérez cette boisson comme un aliment. Je l’adore sous toutes ses couleurs avec une préférence certaine Pour Les Sencha japonais. Et sinon comme aliment solide sans hésitation le chocolat ! Il en existe tant de nuances et de variétés

Si on se fiait à vous pour nous recommander un restaurant ?

Un seul restaurant ? Dur dur à Paris je vous recommanderais Al Ajami Pour un bon restaurant Libanais porteur d’une tradition familiale remarquable Et sinon La Cigale Récamier à Paris ou Gérard Idoux interprète les soufflés, un de mes plats préférés de mille et une façon

Si vous deviez nous présenter un produit et en partager la recette avec nous ?

Un produit ce serait Le zaatar Mélange de feuilles et de fleurs d’Origan, de graines de sésame torréfiées, de sumac auxquels on peut rajouter des oléagineux de toutes sortes… il est indissociable des galettes parfumées du petit déjeuner à Beyrouth, Les manouchés… Comme de plusieurs autres préparations que mon métissage culturel m’a permis de réaliser : spaghettis au zaatar et pecorino. Dés de feta, huile d’olive et zaatar, pizza mozzarella zaatar, tartines de fromage blanc, figues et zaatar …je pourrais vous en parler longtemps.

Pour finir, quelques mots sur l’altérité et  le « vivre ensemble »

L’altérité est la reconnaissance de l’autre dans sa différence, qu’elle soit ethnique, sociale, culturelle ou religieuse. En Cuisinant je pense que l’on met ce que l’on est dans ce que l’on fait c’est pour cela que la Cuisine est un creuset où le partage prend ses lettres de noblesse. Quelle merveilleuse façon d’aller vers l’autre et de mieux le connaître

Rencontre avec Jean-Marc Quaranta

Rencontre avec Jean-Marc Quaranta

© Philippe Matsas/Plein Jour

 

 

couv quaranta

 

 

 

 

 

 

 

Jean –Marc Quaranta

Houellebecq aux fourneaux, Plein Jour, avril 2016

 

 

Bonjour Jean-Marc Quaranta, eau plate ou eau gazeuse ?

Eau gazeuse. Mais, bien que profondément laïc, je préfère quand elle se change en vin !

Quel plat  mangez-vous bien volontiers en ce moment ?

En général le plat que j’aime manger est celui que j’aime cuisiner et partager ! En ce moment c’est le poulet aux piments verts de Plateforme, que j’ai cuisiné au Salon du livre et que je vais préparer pour les quatre-vingts ans de ma mère, à qui le livre est dédié. Dans le roman de Houellebecq, c’est un plat que le narrateur mange au moment où il s’apprête à mener une vie paradisiaque avec sa compagne et où elle envisage qu’il s’adonne à sa passion pour la cuisine. Il pense accommoder le plat « avec des mangues », mais hélas la suite de l’histoire ne lui en laissera pas le temps. Un bon exemple de l’importance de la cuisine chez Houellebecq puisque l’auteur en fait un des éléments du bonheur, qu’il croit impossible, et la place à des moments clés de son roman.

Avez-vous toujours mangé ce plat ?

Non, je l’ai découvert en travaillant sur le livre, puisque le projet consistait à commenter les romans de Houellebecq du point de vue de la nourriture et de la cuisine, en faisant les recettes, ce qui m’a permis de faire quelques belles découvertes et de préciser parfois le sens caché du texte, qui est parfois opposé au sens apparent, et que la cuisine révèle ! Avec 75 recettes – sur les 200 plats que comportent les six romans – j’ai aussi enrichi mon répertoire culinaire dans cette aventure, même si de nombreux plats appartenaient déjà à mon propre livret de recettes.

Quel est votre parcours culinaire ?

J’ai commencé, enfant, dans la cuisine familiale avec ma mère et ma sœur, qui a fait l’école hôtelière et a donc apporté à la fois sa passion et ses techniques (que je suis loin d’égaler). Après, à l’adolescence, ma mère a exercé une activité de traiteur et j’allais la regarder faire, je l’aidais aussi un peu, mais pas beaucoup, la cuisine était son refuge, son monde, y entrer aurait été une maladresse. Ensuite j’ai travaillé à Monaco, pendant mes études, dans un hôtel de luxe, en salle, mais j’allais souvent faire un tour en cuisine. C’était la même chose dans les restaurants plus petits où j’ai pu travailler comme serveur à la même époque. Ma pratique de la cuisine est essentiellement personnelle et familiale, je cuisine pour moi et pour la famille, pour les amis.

A-t-il plutôt  influencé votre façon de manger, ou ce que vous mangez ? En quoi?

Il a déterminé un choix, assez rare hélas aujourd’hui, de ne pas recourir à la cuisine industrielle. Le seul plat que je m’autorise dans ce domaine est la paëlla ! C’est même devenu un rite et une plaisanterie dans la famille. Je cuisine donc tous les jours, ou presque, parfois en grandes quantités pour que cela puisse durer quelques jours. Cela m’a aussi conduit au marché, pour avoir des produits frais et de la matière première. A l’heure du développement de la culture vegan, je comprends bien la nécessité de porter une attention sérieuse à la condition de l’animal, mais je crois plus urgent de reprendre en mains notre nourriture en limitant le recours à la nourriture industrielle. Ce n’est pas seulement un enjeu sanitaire, c’est aussi tout un rapport au monde qui se joue dans ce qu’on sent, ce qu’on touche, ce qu’on réalise, dans l’autonomie qu’on acquiert par cette activité qui, en définitive, nous tient en vie. C’est le sens de Houellebecq aux fourneaux : Houellebecq décrit une évolution de la société qui conduit à la destruction des anciennes structures, il est clair qu’elles ne reviendront plus – et ce n’est pas un mal – mais il faut bâtir un art de vivre qui nous rende plus présents au monde. Les personnages de Houellebecq se plaignent de ne rien savoir faire de concret, de gérer seulement des flux d’informations et cette impuissance devant le monde réel, devant la matérialité du monde, les angoisse ; la cuisine aide à se libérer de cette angoisse en nous redonnant la main – celle qu’on met à la pâte – sur le monde et sur nos vies.

Pouvez-vous nous raconter une première fois culinaire (préparation ou dégustation) ?

Quand on déguste un plat, même si on l’a déjà fait, c’est toujours la première fois, puisque chaque réalisation est différente. Dernièrement j’ai fait une confiture d’oranges, avec les fruits qu’un ami m’a apportés de son jardin, je l’a goûtée après quelques heures de repos, dans un contexte de tensions sur le plan professionnel, et ça a été un moment d’apaisement qui remettait les choses essentielles à leur place, et reléguait les autres au second plan. Le matin, quand je prends une cuillère de cette confiture, que je trouve excellente, je repense que l’essentiel est que la confiture d’oranges soit réussie, le reste importe peu !

Quel est selon vous  l’aliment qui incarne le mieux la mobilité de l’humain de nos jours?

Dans La Carte et le territoire, c’est le coleslaw qui incarne le mieux cette mobilité : un plat qui a lui-même beaucoup voyagé et qu’on peut retrouver partout. La pizza est certainement le plat le plus mondialisé : j’ai vu à Alger une échoppe qui vendait des « pizzas australiennes ». Difficile d’exprimer mieux la mobilité des plats et l’appropriation dont ils sont l’objet dès qu’ils voyagent. La cuisine a toujours incarné cette mobilité car elle marque les différences mais parce qu’aussi les ressemblances sont importantes, sous l’apparente diversité. J’en donne des exemples étonnants dans Houellebecq aux fourneaux notamment à propos de Soumission qui a fait beaucoup de bruit  et qu’on a mal lu.

Le plat de la mobilité de l’humain, pour moi, ce serait sans doute le couscous car il fait l’objet d’un va et vient entre les deux rives de la Méditerranée ; c’est un plat important dans Les Particules élémentaires. Au départ c’est un pot-au-feu, qui devient un plat épicé en traversant la mer et qui revient en France comme le plat préféré des Français, alors même que pour une partie de la population la relation avec le Maghreb et, plus généralement l’islam, pose problème et questionne sa propre identité. Et puis, il y a ce paradoxe qu’il n’y a pas un couscous mais une grande diversité, presque un par famille. Le couscous réalise dans les assiettes le rêve d’une mondialisation heureuse et le rapport entre intime et collectif. En Angleterre, c’est le poulet korma (dont la recette se trouve aussi dans le livre) qui joue ce rôle de lien entre la métropole et les anciennes colonies devenues territoires de migrations. Il est beau que cette chose simple, banale, quotidienne qu’est la cuisine puisse le porter.

Quel aliment vous ferait défaut aujourd’hui si vous deviez vous en passer pendant un an ?

Difficile à dire, peut-être le fromage, ou le poisson. Sans doute tout me manquerais, mais je pense que je pourrai assez vite m’y habituer, quel que soit l’aliment.

Si on se fiait à vous pour nous recommander un restaurant ?

Comme je cuisine, je mange beaucoup à la maison et je suis souvent déçu au restaurant, sauf à aller chez des chefs étoilés – ce que pour le moment les ventes de mon livre ne me permettent pas ! Nous avons organisé un repas houellebecquien à la Bellevilloise dans le cadre de Paris en toutes lettres, avec la Maison de la poésie et c’était très bien. Le chef et son équipe avaient choisis des plats tirés du livre et leur choix était très pertinent et le travail très appliqué. Pendant le repas je mangeais et commentais les plats. Noam Morgenzstern, de la Comédie française, lisait des extraits, c’était bon, beau et intéressant ! Une expérience à renouveler, avec ceux qui le souhaitent.

Sinon, hors de France, j’ai le souvenir d’un repas à Cracovie, chez Wierzynek, le restaurant existe, au même emplacement, depuis le moyen âge et j’ai eu l’impression que les plats mijotaient depuis des siècles, que le temps les avait distillés et décantés, qu’il y avait une perfection, un équilibre parfait qui étaient atteints, et cela avec une grande simplicité, avec naturel. Le temps était présent et sensible dans la cuisine qu’on mangeait. Si on me proposait de reprendre l’avion pour aller y manger, je le ferais !

Si vous deviez nous présenter un produit et en partager la recette avec nous ?

Le poulet aux piments verts dont voici la recette

Dans le caddie : 3 à 4 tiges de citronnelle, 3 à 4 oignons frais (thaï de préférence), le zeste d’un citron vert, 3 gousses d’ail, de 1 à 5 piments verts (selon vos goûts), 60g de gingembre, nuoc-mam, 1 botte de coriandre fraîche, coriandre en poudre, cumin, curcuma, 500 cl de lait de coco ; 500g de blancs de poulet, 2 poivrons, 2 petites aubergines, basilic thaï.

Préparation de la recette : le curry vert : peler si besoin la citronnelle et la couper en rondelles, peler et couper grossièrement l’ail, les piments, le gingembre, la moitié de la botte de coriandre (tiges comprises) ; délayer avec une peu de lait de coco ; 1cas de coriandre, 1 cas cumin, 1 cas de curcuma.
Faire bouillir 500cl de lait de coco pendant 10 min, ajouter 2cas de curry vert et cuire encore 2 minutes ; épluchez les aubergines et les couper en dés de 2cm environ ; plonger les aubergines dans le lait de coco, avec du nuoc-mam et 4 cas de curry vert, faire bouillir à feu doux pendant 10 min ; couper les poivrons en lamelles et le poulet en dés ; ajouter le poulet les poivrons et faire cuire 5 à 10 minutes à feu doux jusqu’à ce que le poulet soit cuit. Sortir du feu et ajouter la coriandre et le basilic hachés grossièrement.
Servir avec du riz.

Extension : Le curry se conserve une bonne semaine au réfrigérateur.

 

Pour finir, quelques mots sur l’altérité et  le « vivre ensemble »

J’en ai parlé à propos de la mobilité, la cuisine porte les marques du vivre ensemble, elle est par définition assimilation – la fait de cuisiner sert aussi à faciliter la digestion, l’assimilation des aliments, par la découpe et la cuisson – et cette assimilation se produit aussi sur le plan des individus et des cultures. Ce qui parfois semble mal se passer dans les relations à l’autre, en surface, se passe bien en réalité dans l’assiette, c’est ce qu’on remarque chez Houellebecq. La meilleure illustration est le repas de famille : on s’y dispute souvent (pas chez Houellebecq, où ils sont des moments paradisiaques), mais on peut le faire car on partage le même repas. Même si les interdits religieux, les problèmes de santé ou les choix alimentaires peuvent limiter les échanges et les rencontres culinaires, en règle générale, vivre ensemble c’est manger ensemble et de ce point de vue toute le monde ou presque se retrouve dans la cuisine et autour de la table, c’est le lieu où il peut être facile de vivre ensemble avec ses différences. La plus jeune de mes filles est devenue vegan par souci de la condition animale, cela n’empêche pas le partage, même si ça semble compliquer les menus. La cuisine apprend la tolérance et la nécessité de partager, de faire corps. Dans les moments difficiles et inquiétants que nous traversons, c’est un espoir.